À genoux, les mains derrière la tête, humiliés, filmés, parqués.
Le symbole est monstrueux, et chronologiquement si proche de la mobilisation déjà sous tension de samedi ; que c’est au delà de l’irresponsabilité folle. C’est un symbole qui percute de plein fouet les consciences, les colères, les émotions, les réalités, mais aussi les inconscients. Ce sentiment partagé de l’humiliation. Cette violence puissante subie par toute une classe sociale est aujourd’hui fédératrice. Mais explosive.
Ces images qui arrivent sur le lit d’un grand mouvement de libération de la parole des laissés-pour-compte, de multiples cris de désespoir, de revendications de justice et d’égalité, de mobilisations maladroites et hétérogènes qui réussissent progressivement à démontrer leur efficacité en s’organisant et de façon visible, jusqu’à formuler des doléances politiques de plus en plus ciblées.
Cette masse informe qui subit depuis si longtemps la misère, qui se tait, qui a faim, froid, qui pleure, qui parfois n’a plus de larme à donner, et qu’ils voudraient étouffer dans la honte. Honte parce qu’on la prive de dignité, honte parce qu’il arrive qu’on ne lui donne pas la possibilité de travailler, honte parce que même en travaillant elle ne peut pas nourrir correctement ses enfants, leur donner droit à la jeunesse qu’ils méritent. Honte par culpabilité, parce qu’on leur fait croire qu’ils sont entièrement responsables de leur propre misère. Cette masse humaine qui souffre, rejette maintenant la honte illégitime dans laquelle on l’enfermait comme dans une prison de silence ; et c’est la colère qui triomphe, sonore, implacable ; une libération transcendant la honte et la peur, une libération qui n’a plus rien à perdre.
Aujourd’hui, même le labeur ne met plus à l’abri de la pauvreté.
Et ces puissants, ceux qui ont la parole, ceux qui ont l’image, ceux qui ont le pouvoir, ceux qui ont tous les droits quand le reste du peuple devrait porter la charge de tous les devoirs ; ceux-là voudraient faire croire que leur réussite ne tient qu’à leur juste mérite ?
Explosif. À genoux, les mains derrière la tête : c’est la procédure.
Celle qu’on impose aux ouvriers laborieux de la richesse de l’humanité, ceux qui travaillent, ceux sur lesquels ont fait des gains, des marges, des prélèvements. Toujours plus grands. C’est la logique mortifère du Capital, l’impérieux désir d’accumulation.
À eux on oppose du mépris, on les humilie.
Alors oui, ces images intolérables de jeunes humiliés, à genoux, ça a de quoi tordre le ventre, et faire grimper la colère.
C’est dangereusement : exciter le chaos.
Le mettre en miroir avec les ridicules vidéos-selfie des cadres de LREM appelant au calme et au dialogue, ça ferait même rire. Jaune.
Calme ? Dialogue ? Ils ont confisqué le dialogue, et maintenant que la violence arrive, ils reculent, ou plus exactement repoussent, l’application de ce qui a été le déclencheur de la mobilisation. Ils ne réagissent qu’à la violence, et ils appellent au dialogue qu’ils méprisent et au calme qu’ils piétinent. Ironique. Suicidaire.
Garder le cap quoi qu’il en coûte ET EN MÊME TEMPS attiser la colère.
Grotesque et tragique.
Et dire que j’en vois, pleins de bonnes intentions, à gauche, mettre un pince-nez bourgeois sur la révolte.
Mais que veulent-ils ? Se révolter en triant les pauvres ?
Dans une lutte des classes, on ne se bat pas pour la justice de Ses
pauvres, qui ressembleraient à une image d’Épinal, selon laquelle un bon
pauvre est propre, pense bien, et sent bon la révolution de grand salon
à moquette.
Dans une lutte des classes, on se bat contre la misère, l’injustice, les inégalités.
Et un pauvre, qui subit injustement le joug sévère d’une politique de
caste, qu’il soit le dernier des connards, ou le premier de la classe,
on se bat pour qu’il ait accès à une vie digne. Sans mettre des gants.
Sans tergiverser ou tortiller du cul parce qu’on a peur du bruit et de
l’odeur.